Les banques et DEXIA

Les banques et DEXIA

Exposé de Claude Vallenet lors de l’université d’automne 2013 d’Attac 63.

Cet exposé va se concentrer sur des événements récents qui ont, une fois de plus, illustré les dérives du système bancaire.

I. L’affaire du Crédit Lyonnais

Elle a resurgi récemment et le contribuable n’a pas fini de payer les pots cassés.
Le scandale avait éclaté au début des années 90. En 1993, le CL, propriété de l’Etat, est en situation de faillite. C’est la conséquence d’une série d’opérations douteuses parmi lesquelles on peut citer le rachat de la Metro Goldwyn Meyer pour l’équivalent de 0,84 M€, un an avant sa faillite, ou encore celui d’Altus Finance (perte de 3,05 M€ entre 90 et 93) et enfin l’affaire Tapie-Adidas.
Pour sauver la banque, l’Etat met en place deux structures : en 1995 le CDR (Consortium De Réalisation) et en 1997, sur injonction de l’Union Européenne, l’EPFR (Etablissement Public de Financement et de Restructuration). Le CDR est la structure de défaisance. L’EPFR exerce la tutelle du CDR et assure son financement en souscrivant, auprès du CL, un prêt de 19,82 M€.
Au final, les actifs du CDR ne comblant pas le trou, l’Etat doit régler 4,5 M€ avant le 31 décembre 2014. Estimant que les conditions de crédit de financement sont actuellement bonnes, Moscovici a décidé d’anticiper cette échéance. Un article de la loi de finance rectificative de 2013 autorise l’Agence France Trésor à emprunter 4,5 M€ sur les marchés financiers. La dette de notre pays va donc s’alourdir d’autant.

II. L’affaire DEXIA

Selon le rapport de la Cour des comptes de novembre 2013, la déconfiture de DEXIA a déjà coûté 6,6 M€ au contribuable français (3,9 pour la Caisse des dépôts et 2,7 pour l’Etat). Et ce n’est pas fini !
Retour sur l’histoire
La banque DEXIA a été créée en 1996 par la fusion du CLF (Crédit Local de France) et d’une banque de dépôt, le CCB (Crédit commercial de Belgique).
Au départ du CLF, il y a le CAECL (Caisse d’Aide à l’Equipement des Collectivités Locales) une filiale de la Caisse des dépôts et Consignations. En 1987, le CAECL se transforme en société anonyme et devient le CLF. En 1988, le CLF est partiellement privatisé par Bérégovoy. En 1993, la privatisation devient totale et le CLF entre au CAC 40.
Cette évolution a été rendue possible par la conjonction de plusieurs choses :
D’abord, dès 1983, la désintermédiation financière qui permet toutes les dérives et place tous les établissements financiers en situation de concurrence.
Ensuite la loi Defferre qui a supprimé la tutelle du Préfet sur les emprunts des Collectivités locales.
Enfin la présence à la tête du CLF d’un personnage intelligent et mégalomane : Pierre Richard. Polytechnicien, spécialiste de l’aménagement public, il entre à la CDC pour conseiller les collectivités locales. Il restera à la direction de DEXIA jusqu’en 2008. Il vit aujourd’hui avec une retraite de 600 000 euros par an.
Pierre Richard et ses collaborateurs, eux aussi grassement rémunérés, font de DEXIA le leader européen de la public finance. Entre 1999 et 2001, on se lance sur les marchés asiatiques et américains. On achète notamment la FSA (Financial Security Assurance) dont l’activité d’origine est d’assurer les crédits des collectivités locales. La FSA se lance ensuite dans l’assurance des crédits immobiliers des particuliers.
DEXIA se constitue un énorme portefeuille obligataire (220 M€ en 2008) dont des titres Madoff ou Lehman Brothers.
A son apogée, DEXIA est une fois et demi plus grosse que cette banque américaine dont la faillite va menacer le système bancaire.
2008 : La première chute
Frappée par la crise des liquidités, DEXIA est sauvée par l’intervention des états belge et français en septembre 2008. L’augmentation de capital va coûter 2,7M€ à la partie française.
On opère un changement de direction : Pierre Mariani, cadre de la BNP et ancien directeur de cabinet de Sarkozy et Jean-Luc Dehaene, ex premier ministre belge, remplacent Pierre Richard et Axel Miller.
2011 : La seconde chute
DEXIA détient un gros portefeuille d’obligations d’état (13 M€ pour l’Italie, 3,8M€ pour la Grèce). La crise de la dette publique qui frappe la zone euro va être fatale à la banque.
Le 4 août 2011, DEXIA annonce 4M€ de pertes. Le 4 octobre, le titre perd 22% de sa valeur. Les clients belges retirent en masse leur argent. Le soir même, les ministres français (Baroin) et belge annoncent la garantie des deux états pour les déposants et les créanciers.
Le 9 octobre, l’acte de décès du groupe est prononcé. La Belgique nationalise la partie belge qu’elle rebaptise BELFIUS. La France récupère « son morceau » dont DEXIA Crédit Local, l’ex CLF.
Mais le démantèlement de DEXIA sera long. Il est étroitement contrôlé par la Commission européenne qui ne donne son accord définitif que le 28 décembre 2012. Les cessions de participations entrainent des pertes et, comme en 2008, les états doivent recapitaliser le groupe pour un montant de 5,5 M€ : 47% pour la France et 53% pour la Belgique.
Depuis le 1er janvier 2012, DCL ne renouvelle plus les lignes de crédit et arrête d’octroyer de nouveaux prêts.
Pour remplacer DEXIA auprès des collectivités locales, l’Etat sollicite la Caisse des dépôts, déjà actionnaire de la banque, mais son directeur refuse d’engager davantage l’organisme public. Après plusieurs mois de négociations, un accord est trouvé, à l’été 2012, avec la Banque Postale. Le financement des collectivités locales devient la treizième priorité de son plan stratégique 2011- 2015.
Reste l’épineux dossier des emprunts toxiques ou emprunts structurés.

III. Le scandale des emprunts structurés

Jusqu’en 1986, les produits bancaires destinés aux collectivités locales étaient tous construits sur le même modèle : un prêt à taux fixe sur 15 ans octroyé par la Caisse des dépôts.
Les produits structurés commencent à être distribués à la fin de 1995. L’inventeur du concept est un ancien de l’Ecole Centrale et de HEC et qui travaille à JP Morgan Paris.
Un emprunt structuré est un contrat qui comprend à la fois un prêt classique à taux fixe et un Swap (de l’anglais to swap : échanger) transformant, sous certaines conditions, le taux fixe en taux variable.
Exemple : Une collectivité a emprunté 1000 euros à taux fixe à 10%. Les taux d’intérêt sur les marchés au bout de la première échéance de remboursement sont à 6% : la collectivité paye 100 euros au titre du prêt à taux fixe et reçoit 40 euros de la banque. Son échéance est bien de 60 euros soit 6% de taux réel. Mais si les taux d’intérêt grimpent, alors c’est la collectivité qui doit de l’argent à sa banque au titre du swap. Dans cet exemple, si les taux d’intérêt sont à 11% au bout de la première échéance, la collectivité paye 10 euros de plus à la banque soit 110 euros.
En 2004, une nouvelle génération de produits structurés arrive sur le marché : les produits dits « de pente ». La pente dont il est question c’est l’écart entre les taux à long terme et les taux à court terme.
Exemple : Le produit Tofixms, distribué par DEXIA en 2005, est ainsi construit : du 1er juin 2005 au 1er juin 2007, la collectivité qui emprunte paye un taux d’intérêt de 3,66%. Puis du 1er juin 2007 au 1er juin 2035, les taux d’intérêt sont le résultat du calcul suivant : tant que (taux dix ans – taux deux ans) est supérieur ou égal à 0,3, la collectivité continue à payer un taux de 3,66%. Sinon elle paiera un taux égal à 5,93-5X(taux dix ans-taux deux ans). Or, dès 2007, la différence des deux taux va devenir inférieure à 0,1 et en quelques mois elle va devenir négative. La collectivité se retrouve avec un taux voisin de 10%.
En 2006, DEXIA innove encore et met sur le marché le Tofix Dual basé cette fois sur les écarts de change entre l’euro et une autre monnaie : le franc suisse. Toute baisse de l’euro sous la barre de 1,44 franc suisse se traduit par une hausse importante du taux d’emprunt. A 1,20 franc suisse, il passe à 13,66%. Or, au 1er août 2011, l’euro vaut 1,09 franc suisse. La bombe à retardement des emprunts toxiques éclate.
Toutefois, la vente de produits toxiques n’est pas l’apanage de DEXIA bien qu’elle ait signé, à elle seule, 5500 contrats. Selon la commission parlementaire qui s’est intéressée à cette question, en 2011, la répartition du stock de produits structurés était la suivante : DEXIA (70%), BPCE (Caisse d’épargne et Banque populaire) (14%), Crédit Agricole (9%), Société Générale (6%), Banques étrangères (1%).
Le monde public local dans sa globalité est concerné : collectivités locales, organismes de logement, hôpitaux, …

Les complices d’une contamination silencieuse

Les actes des collectivités locales sont encadrés par une réglementation tatillonne mais, curieusement, aucune des autorités concernées (Préfet, Trésor, Cour des comptes, Direction Générale des Collectivités locales, Autorité de contrôle prudentiel des banques) n’a fait la moindre observation sur le danger des produits structurés.
Quant aux élus et cadres territoriaux, on peut dire que DEXIA les a bien « encadrés ».
Dès 1999, la banque était en charge du cours « les collectivités territoriales et l’emprunt » au sein des écoles formant les cadres territoriaux. Des formations au siège de la banque sont aussi proposées.
Dès 1995, CLF avait créé une maison d’édition spécifique devenue DEXIA Editions.
En 1999, la banque avait pris la majorité du capital du groupe SOFAXIS, le leader français du courtage et du conseil en assurances du secteur public local.
Depuis 1990, DEXIA organise les « Rencontres des décideurs locaux » regroupant plus de 1000 personnes, chaque année, à la Défense.
L’Association des Maires de France octroie à la banque le meilleur stand au Congrès annuel des maires et, en retour, celle-ci offre le déjeuner de clôture aux milliers de participants.
Enfin certains élus sont membres du CA (le jeton de présence est de 20 000 euros par an pour 4 ou 5 réunions). Parmi les heureux bénéficiaires : A gauche, François Rebsamen, Claudy Lebreton, Philippe Duron et à droite, Antoine Rufenacht, Christophe Béchu et J.F. Copé très proche de Pierre Richard.

Epilogue provisoire

Victimes des prêts toxiques, 200 collectivités ont engagé plus de 300 procès contre les banques. Certaines ont déjà eu gain de cause au motif que les contrats ne portaient pas mention du TEG (taux effectif global).
Or, depuis janvier 2013, le gouvernement a créé la SFIL (Société de Financement Local), dont le capital est détenu à 75% par l’Etat, à 20% par la CDC et à 5% par la Banque Postale. La SFIL a pour objet la reprise du portefeuille de prêts déjà consentis à des collectivités par DEXIA. Sur ce stock, près 10 milliards d’euros d’encours sont considérés comme toxiques et concernent environ 1000 collectivités.
L’Etat portant désormais le risque de DEXIA, c’est lui, à travers la SFIL, qui serait condamné à supporter les coûts considérables liés aux prêts toxiques.
Pour se soustraire à cette obligation, le ministère de l’économie et des finances a eu l’idée d’insérer dans l’article 60 de son projet de loi de finances pour 2014 une disposition qui valide les contrats de prêts conclus antérieurement à la loi même si le TEG n’y figure pas ! Autrement dit, l’Etat renvoie la bombe explosive aux collectivités.
Dans l’affaire DEXIA, quel que soit l’issue du feuilleton, c’est, une fois de plus, le contribuable qui paiera l’addition
Ref. : Le livre DEXIA, une banque toxique de Nicolas CORI et Catherine LE GALL aux Editions La Découverte.
P.S.
Fin décembre 2013, les ministres européens des finances ont conclu un accord pour la mise en place de l’union bancaire, présentée comme une relance de l’Europe. Dans son communiqué du 20 décembre, ATTAC France explique pourquoi ce nouveau dispositif de régulation bancaire n’empêchera pas les crises.
La fonction de superviseur est confiée à la BCE. Celle-ci ne contrôlera directement que les 128 plus grandes banques sur les quelques 6000 banques de la zone euro. Quid des pays hors zone euro comme le Royaume Uni ?
Un système européen de garantie des dépôts est créé avec comme but affiché de renforcer la solidarité entre pays et de faire payer aux actionnaires, plutôt qu’aux contribuables, le coût des défaillances bancaires. Hélas, les ressources financières prélevées sur les banques pour alimenter le fonds européens ne s’élèveront qu’à 60 milliards d’euros … en 2026. C’est ridiculement faible et l’Allemagne a obtenu que les mécanismes de solidarité soient fortement réduits.
Enfin, on ne s’attaque pas au modèle bancaire dominant qui mélange les activités de banque de détail tournée vers les ménages et les PME et les activités de banque d’investissement tournée vers les marchés et la spéculation.