Luttes victorieuses pour sortir de la dette
UNIVERSITE D’AUTOMNE 2012
Atelier 2 : Comment sortir du piège de la dette ? Les luttes victorieuses en Argentine, Equateur, Islande.
Intervenant : Claude VALLENET
A- Argentine
Ce pays d’Amérique du Sud compte 41 000 000 d’habitants.
Son PIB est de 580 MD. Son PIB par habitant est de 14272 dollars. Son solde courant en pourcentage du PIB est de +0,9%. (Le solde courant est un indicatif de la balance commerciale). Le taux de chômage y est de 8,68%.
A titre de comparaison la Pologne compte 38 500 000 habitants. Son PIB est de 662 MD. Son PIB/Hab est de 17363 dollars. Son solde courant en pourcentage du PIB est de -3,3%. Le taux de chômage dépasse 10%.
Histoire récente
Cette histoire est marquée par un personnage : Juan PERON, colonel qui participe à un coup d’état en I943. Président de l’Argentine de 1946 à 1955, il incarne un courant politique, le justicialisme ou péronisme, sorte de troisième voie entre le communisme et le capitalisme, qui va dominer la vie politique et syndicale du pays jusqu’à aujourd’hui. PERON est un nationaliste étatiste hostile aux Etats-Unis. Sa seconde femme, Eva PERON, une actrice, est l’idole des masses populaires qui constatent une nette amélioration de leur situation. Elle meurt en 1952.
En 1955, PERON est chassé par un coup d’état. Il se réfugie dans divers pays d’Amérique latine puis en Espagne franquiste.
De 1955 à 1973, on assiste à une alternance de pouvoirs civils et militaires.
En 1973, PERON revient d’exil et est élu de nouveau président. Il meurt en 1974. Sa troisième épouse Isabel, une ancienne danseuse, lui succède. Elle appuie la frange droitière du péronisme. Elle est finalement chassée du pouvoir par le coup d’état du général VIDELA.
De 1976 à 1983, l’Argentine subit une sanglante dictature militaire qui prend fin avec l’échec de l’expédition militaire des Malouines.
De 1983 à 1989, le président Raoul ALFONSIN (Parti radical, centre droit) rétablit la démocratie mais ne résout pas les problèmes économiques et sociaux.
En 1989, Carlos MENEM, un péroniste devient Président. C’est un néolibéral, disciple de M. Thatcher. De 1989 à 1999, le pays va connaître une « décennie infâme » : déréglementation, privatisations (France Telecom et Telefonica Espagne se partagent par exemple le secteur des télécommunications), désindustrialisation, corruption, …
Les salaires baissent de 30%. Le taux de chômage atteint 18% en 1996.
La dette publique est un des leviers centraux de cette politique. Elle est passée de 8MD en 1975 à 160 fin 2001.
En 1991, pour faire face à l’hyper inflation qui pose problème aux détenteurs de capitaux, MENEM décide l’ancrage Peso-dollar.
Cette politique finit par provoquer une forte réaction populaire. En 1994, apparait dans la province du Rio Negro, le mouvement des « piqueteros » qui va s’étendre progressivement à l’ensemble du pays. Il tiendra sa première assemblée générale en juillet 2001.
On assiste à des grèves en masse, des occupations, des affrontements sanglants (mort de Teresa Rodriguez).
En octobre 1999, un radical, DE LA RUA, est élu président face au candidat péroniste DUHALDE. Il rappelle Domingo CAVALLO, le ministre de l’économie de MENEM.
La crise
Le 14 octobre 2001, les élections législatives voient la victoire des péronistes. L’extrême gauche dispersée obtient 7% et quelques députés.
Le 3 décembre 2001, le FMI refuse de débloquer un nouveau prêt. CAVALLO limite les retraits bancaires. Les banques organisent la fuite des capitaux.
Les classes moyennes basculent dans la révolte. C’est le début de « l’argentinazo ».
Concert de casseroles, grève générale le 13 décembre.
Les 19 et 20 décembre, les combats de rue éclatent à Buenos-Aires. On enregistre 35 morts, 439 blessés, 3000 arrestations. CAVALLO démissionne. DE LA RUA demande l’intervention de l’armée. Elle refuse. A 19 H, il démissionne et quitte le palais en hélicoptère.
Les péronistes de l’assemblée élisent Rodriguez SAA mais les manifestations continuent, le Congrès est partiellement envahi. Le 30 décembre SAA démissionne.
Le 2 janvier 2002, Eduardo DUHALDE est désigné Président. Il met fin à la parité peso-dollar.
La sortie de crise
En avril 2002, Roberto LAVAGNA est nommé ministre de l’économie.
Lorsqu’il prend ses fonctions, le peso vient d’être dévalué de 70%, le pays est en cessation de paiement, la dette privée s’élève à plus de 72 MD, l’inflation est de 125%, le chômage explose et les petits épargnants sont ruinés.
Dès son entrée en fonction, il rompt avec le FMI et arrête une partie des remboursements de la dette (le capital). Il ne soutient plus les banques.
En mai 2003, Nestor KIRCHNER (péroniste) est élu président contre Carlos MENEM qui tentait un retour !
Il défie les créanciers privés en leur proposant d’échanger leurs titres contre de nouveaux, de moindre valeur. Après de longues négociations achevées en février 2005, 76% des créanciers acceptent de renoncer à plus de 60% de la valeur des créances qu’ils détenaient.
L’Argentine a encore 6,5 MD de dette auprès des Etats (club de Paris) ; mais depuis 2001 elle ne rembourse rien et cela ne l’empêche pas de siéger au G 20.
Nestor KIRCHNER a gelé les tarifs de l’énergie et des transports. Il a nationalisé les fonds de pension.
De 2003 à 2007, la masse salariale a doublé. Entre 2003 et 2011, le taux de croissance a été de 7,8% par an.
En 2007, l’Argentine est devenue membre de l’UNASUR qui vise à créer une union du continent sud- américain. Nestor KIRCHNER a toujours affiché une bonne entente avec CHAVEZ.
En 2008, Nestor KIRCHNER meurt, c’est sa femme Cristina qui lui succède et qui vient d’être réélue récemment. Les nationalisations se poursuivent : la compagnie pétrolière vendue à une transnationale espagnole a été reprise malgré les cris d’orfraie de l’UE.
En 2011, la dette ne représentait que 46% du PIB contre 160% en 2001.
NB : Le 27 novembre 2012, un juge fédéral américain a ordonné, au gouvernement argentin, de verser 1,3 MD à des fonds spéculatifs qui avaient refusé l’échange de titres de 2005. Mais la justice américaine n’a plus cours en Argentine et un de ces fonds, NML, domicilié aux iles CaÏmans, pour récupérer une partie des 370 mD qu’il réclame, a fait saisir un bateau argentin dans un port africain !
B- L’EQUATEUR
Petit pays d’Amérique du Sud qui s’étend sur 283 500 Km2. Il compte 15 000 000 d’habitants avec une forte composante amérindienne.
Histoire récente
Depuis la fin des dictatures militaires en 1979, l’Equateur a connu une importante instabilité politique. En 1998, Jamil MAHUAD est élu président et il « dollarise » la monnaie. En 2000, il doit démissionner suite à des mouvements populaires.
En 2003, Lucio GUTTIEREZ, soutenu par la gauche et les mouvements indigènes, devient président, mais, très vite, il applique la politique voulue par le FMI. Le 20 avril 2005, contraint à la démission par la pression populaire, il cède sa place au vice-président Alfredo PALACIO. Celui-ci nomme son conseiller économique, Rafaël CORREA, ministre de l’Economie et des finances. Constatant que PALACIO suit la même voie que son prédécesseur, CORREA démissionne au bout de quatre mois.
Le 26 novembre 2006, soutenu par les principales formations de gauche et les organisations indigènes (CONAIE), CORREA est élu au deuxième tour de la présidentielle.
La sortie de la crise de la dette
En juillet 2007, CORREA met en place une commission d’audit de la dette publique. Parmi ses membres figure Eric Toussaint du CADTM. Après 14 mois de travail, la commission remet ses conclusions qui démontrent le caractère illégitime d’une grande partie de cette dette.
En novembre 2008, prenant appui sur ce rapport, le gouvernement décide de suspendre unilatéralement le remboursement des titres de la dette vendus sur les marchés internationaux et arrivant à échéance en 2012 et 2030.
Face à la pression les banquiers nord-américains acceptent un compromis. L’Equateur rachète pour 900 millions de dollars des titres d’un montant de 3,2 Milliards de dollars. Ce faisant le trésor public équatorien a ainsi économisé environ 7 MD.
Le taux de croissance annuel de l’Equateur oscille entre 3 et 4%. L’Education et la santé publique ont connu une amélioration significative et les salaires une récupération de leur retard.
Parallèlement une nouvelle constitution a été adoptée le 28 septembre 2008 par voie référendaire. Elle est, d’après CORREA, le moyen d’enterrer le « modèle néolibéral » appliqué par ses prédécesseurs. Dans son article 290, elle définit les règles auxquelles sera soumis l’endettement public. Cet article précise notamment : « on veillera à ce que l’endettement public n’affecte pas la souveraineté nationale, les droits humains, le bien-être et la préservation de la nature », « les accords de renégociation ne contiendront aucune forme tacite ou expresse d’anatocisme ou d’usure ».
L’anatocisme est la capitalisation des intérêts de retard.
L’article 291 est rédigé comme suit : « Les organes compétents, déterminés par la Constitution et la loi, réaliseront au préalable des analyses financières, sociales et environnementales de l’impact des projets afin de déterminer la possibilité de financement. Ces organes procèderont également au contrôle et à l’audit financier, social et environnemental à chaque phase de l’endettement public interne et externe, tant dans la phase du contrat que dans celles de gestion et de renégociation. »
Le 26 avril 2009, CORREA est réélu Président, dès le premier tour, pour un mandat de quatre ans.
En 2009, l’Equateur a dénoncé 21 traités bilatéraux sur les investissements. Les représentants du CIRDI (Centre International de Règlement des Différents) ont été expulsés d’Equateur. Le CIRDI est une des composantes de la Banque Mondiale.
Le 30 septembre 2010, suite à une rébellion de forces de police, CORREA est arrêté mais des éléments de l’armée le libèrent et mettent fin à cette tentative de coup d’état.
C- L’ISLANDE
Petit pays de 320 000 habitants, situé au nord de l’Europe, indépendant depuis 1944 (auparavant territoire danois).
L’Islande est membre de l’AELE avec la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein.
Ressources : Pèche, Aluminium, Tourisme, Elevage du mouton, Géothermie.
L’espérance de vie est parmi les plus élevées au monde. En 2007, le pays figurait encore au 1er rang pour le classement IDH (Indice de développement humain).
La crise
Dès 1991, l’île s’engage dans la voie du néolibéralisme.
En 2003, les trois principales banques (Kaupthing, Glitnis, Landsbanki) sont privatisées. Ces banques élargissent leurs acticités à l’étranger en particulier Landsbanki par sa filiale Icesave.
Le déficit extérieur atteint 16,5% du PIB, l’un des plus élevés au monde. Parallèlement la dette extérieure s’envole.
Le 6 octobre 2008, les banques islandaises s’effondrent, leurs dettes s’élèvent à 10 fois le PIB du pays. Le gouvernement décide de garantir tous les dépôts des ressortissants islandais. Il refuse de garantir les dépôts des non-résidents qui sont domiciliés au Royaume Uni et aux Pays Bas.
Le 24 octobre 2008, le FMI accorde un prêt de 2,1 MD faisant de l’Islande le premier pays occidental à recourir à une telle aide depuis 25 ans. Financement sur 2 ans avec un versement immédiat de 830 mD et remboursement entre 2012 et 2015.
4 MD sont prêtés par des pays d’Europe du Nord (Danemark : 2,5MD, Finlande, Suède, Norvège, Pologne)
Le Royaume Uni, qui a indemnisé ses ressortissants, exige que l’Islande rembourse et place l’île sur la liste des pays terroristes. Elle le restera jusqu’au 15 juin 2009.
De septembre 2008 à février 2009, le gouvernement islandais se trouve obligé de renationaliser toutes les banques. Elles seront ensuite recapitalisées et de nouveau privatisées.
La sortie de crise
Le samedi 24 janvier 2009, rassemblés comme chaque Week-end depuis 16 semaines, les islandais finissent par obtenir la démission du gouvernement de droite et de nouvelles élections.
Le 26 avril 2009, élection d’une nouvelle majorité composée du parti social-démocrate et du parti gauche-verts.
Le 16 juillet 2009, ce nouveau gouvernement demande l’adhésion de l’Islande à l’UE. Le statut de candidat officiel à l’UE sera obtenu le 17 juin 2010.
Le 30 décembre 2009, le Parlement vote de justesse la loi Icesave qui prévoit que l’Islande rembourse les fonds perdus par les non-résidents victimes de la faillite des banques islandaises. Au total cela fait 3,9 M€ : 2,6 M€ pour le Royaume Uni et 1,3 pour les Pays Bas. Pour les islandais cela correspond à 100€ à rembourser par habitant et par mois pendant 8 ans
La population manifeste son désaccord par une pétition et plusieurs jours de « casserolades » devant le Parlement.
Le Président de la République, GRIMSSON, refuse de promulguer la loi et convoque un référendum. Le 6 mars 2010, cette consultation donne 93% de non.
Après de multiples chantages, notamment de l’UE, la liquidation des actifs de Landsbanki est prise en compte. Le 16 février 2011, le Parlement approuve un nouvel accord (44 pour, 13 contre, 6 abstentions).
De nouveau GRIMSSON convoque un référendum et le 6 avril 2011 les islandais disent Non !
Finalement, l’indemnisation a été prise en charge par Landsbanki en liquidation et les remboursements ont commencé en décembre 2011.
Par leur détermination les islandais ont évité qu’une dette privée se transforme en dette publique.
Une nouvelle Constitution
Depuis l’indépendance hâtivement négociée en 1944, la question de réécrire la Constitution avait été plusieurs fois soulevée. La crise a précipité le débat.
Le 27 novembre 2010, 25 députés sont élus à une assemblée constituante. Ils ont été choisis parmi plus de 500 candidats issus d’un tirage au sort qui avait sélectionné 1000 citoyens.
Peu de temps avant que cette assemblée commence à délibérer, l’élection de ses membres est invalidée par la Cour suprême islandaise. Fin juin 2011, l’assemblée constituante est transformée en Conseil constitutionnel.
Finalement un référendum a eu lieu le 20 octobre 2012. 2/3 de la moitié des électeurs islandais ont adopté six propositions extraites du projet du Conseil.
Parmi ces propositions validées, on en notera deux qui avaient rencontré de fortes résistances :
– la séparation entre l’Eglise et l’Etat
– le caractère public des réserves naturelles biologiques et minérales
A noter que le Conseil s’est heurté à l’Assemblée qui a toujours considéré qu’elle détenait seule la légitimité.