MEDIACOOP ET LA MANIFESTATION DU SAMEDI 23 FEVRIER

Que s’est-il passé lors de la manifestation des Gilets Jaunes du 23 février ? Nous relayons ici un article de Médiacoop, qui donne une version différente de celle de La Montagne, organe de propagande officiel du pouvoir au niveau local.
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Clermont agressé ?

Mediacoop/ Actus locales / Par Davy DELFOUR 24 fevrier

Le niveau de répression est encore monté d’un cran hier, samedi 23 février, à l’occasion de l’acte XV des Gilets jaunes. Près de 5.000 manifestants ont défilé à Clermont-Ferrand malgré les alertes savamment entretenues par les pouvoirs publics et les médias locaux. Mises à part des dégradations dans la rue du 11 novembre, l’apocalypse prophétisée par de nombreuses rédactions n’a pas eu lieu.

« Clermont agressé », annonce La Montagne ! Clermont, vandalisée par les hordes de casseurs d’ultra-gauche ! Mais Clermont, libérée par les Forces de l’Ordre ! Armées seulement de leur courage (et de quelques grenades), elles ont valeureusement bouté la déferlante des manifestants fluorescents hors de la capitale auvergnate. Malheureusement, la vitrine de la boutique Orange n’a pu être sauvée – la ville s’en relèvera-t-elle un jour ?

On pourrait bien penser que non, à en juger par la couverture médiatique de la manifestation d’hier. Fidèle à sa ligne éditoriale, la chaîne BFMTV a diffusé en boucle des images de dégradations, évoquant un centre-ville « saccagé ». Quant au principal quotidien régional, sa Une est plus caricaturale que tout ce à quoi nous pouvions nous attendre. Il faut dire que La Montagne vient de passer les deux dernières semaines à prophétiser l’apocalypse, à grands renforts de citations du chef de la police, de la préfète et du maire. En attisant la psychose, le canard le plus lu d’Auvergne a joué son rôle à merveille, dissuadant d’éventuels manifestants et justifiant les 300.000 euros dépensés pour protéger les banques et les boutiques du centre-ville – de l’argent public au service d’intérêts privés. Après cela, le journal ne pouvait plus se permettre de titrer sur une manifestation festive ayant occasionné quelques dégradations dans la rue du 11 novembre. Pour pouvoir couvrir dignement cet événement, c’est-à-dire prendre les plus belles photos de feu de poubelle et d’éclats de verre, les journalistes de la presse dominante se sont tout-de-même munis de casques et de masques à gaz. Un fait surprenant : seraient-ils du genre à penser que nos braves policiers ne chargent pas que des « casseurs » ? En tout cas, ils font bien d’en profiter : se dissimuler le visage de la sorte sera bientôt passible d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

Un autre regard sur les événements d’hier

Au départ, pourtant, la manifestation ressemble à une grande fête. Dans une ambiance chaleureuse, les Gilets jaunes commencent à se rassembler aux alentours de midi, sur la place du 1er mai. Ils brandissent des pancartes pour réclamer le référendum d’initiative citoyenne, la redistribution des richesses, la justice climatique et la démission d’Emmanuel Macron. Au milieu de la masse qui se forme, on identifie des insoumis, des communistes, des anarchistes, des antifascistes, mais aussi pas mal de syndicalistes, Force ouvrière et l’UNEF étant très représentés. On croise même un drapeau de l’Association républicaine des anciens combattants pour la paix (ARAC). Je ne reconnais pas de militants de l’extrême-droite locale, même si elle n’est sûrement pas complètement absente. La grosse majorité du cortège semble ne pas porter de couleur politique, si ce n’est le jaune fluo qui caractérise le mouvement. Mais déjà, on apprend qu’une douzaine de personnes ont été arrêtées suite à des contrôles préventifs. Une cinquantaine d’interpellations auront lieu tout au long de la journée.

La foule se met en branle vers 14 heures, au son des tambours et des slogans. Dans la manifestation, ça discute, ça chante, ça danse et ça rit, sous le regard inquiétant d’un hélicoptère de la police. Le défilé continue dans la bonne humeur jusqu’au Palais de justice. Là, il s’arrête une première fois : les manifestants entonnent des slogans pour la justice fiscale et sociale. Un contestataire de mauvais goût pisse sur le portail du tribunal, deux autres cassent le digicode. Mais c’est un peu plus loin que les premiers heurts éclatent. Alors que la foule a repris sa route, elle se trouve bloquée par un barrage policier, aux alentours de 15 heures. Les chants anti-répression émergent, un groupe bifurque en direction de la banque de France, mais la plupart des manifestants restent plantés devant les forces de l’ordre. Pendant une quinzaine de minutes, le climat se tend entre les deux groupes qui se regardent en chien de faïence et finalement, les premiers gaz lacrymogènes sont tirés.

À partir de ce moment-là, la police déploie une stratégie similaire à celle employée contre les lycéens. Le cortège est régulièrement gazé, incité à se séparer en petits groupes plus faciles à décourager et à disperser. Avec une différence majeure avec les événements de décembre : les manifestants sont des adultes mobilisés depuis plus de trois mois, et ils n’ont pas l’intention de perdre la guerre des nerfs qui se joue. Ils ne courent pas, ils marchent calmement pour s’éloigner des policiers et se mettre à l’abri. Parfois sans même reculer, ils continuent à chanter et à scander leurs slogans dans les nuages lacrymogènes. Les jeunes comme les retraités, tous ont les yeux et les poumons brûlés par le gaz, mais tous tiennent bon et font face.

Le gros des affrontements a lieu dans la rue du 11 novembre et à l’entrée de la place de Jaude. La quasi-totalité de la casse, aussi. Des vitrines sont brisées et divers objets incendiés. En réponse, les projectiles de LBD et les grenades pleuvent. À plusieurs reprises, la place est entièrement noyée sous les gaz. D’après plusieurs sources, au moins cinq personnes sont hospitalisées. De l’intérieur de la manifestation, on voit les street medics intervenir sans discontinuer pendant des heures. Et à chaque accalmie, les Gilets jaunes reprennent leur fête, dansent autour des musiciens, chantent pour le monde meilleur qu’ils revendiquent.

Des « professionnels de la violence » ?

Malgré la répression, la manifestation n’est totalement dispersée qu’aux alentours de 19 heures, soit 7 heures après le début du premier rassemblement. Des événements de la journée, les médias dominants ne retiennent que les quelques dégradations*.En début de soirée, le site internet de La Montagne redonne encore une fois la parole à la préfecture, qui doit manquer d’occasions de s’exprimer. Le mot est lâché : le désordre a été causé par des « professionnels de la violence », selon la préfète.

C’est l’occasion de nous intéresser aux dégradations. Nous les avons vues, nous aussi. Presque toutes concentrées sur la rue du 11 novembre, une infime partie du trajet couvert par la manifestation. Quant à ces fameux « professionnels de la violence », nous n’en avons pas croisé beaucoup. Une dizaine d’individus, au grand maximum, s’en est pris aux vitrines des banques et de certains commerces. Pas par plaisir, rappelons-le, mais par stratégie politique : il s’agit pour eux de s’attaquer de manière directe aux capitalistes, en leur occasionnant des dépenses. Une stratégie qu’on peut ne pas cautionner, mais qu’il est de bon ton d’expliquer avant d’utiliser le mot « casseur ». Une stratégie qui explique que les dégâts se concentrent sur des cibles symboliques.

On note que ces « violences » sont propulsées en Une, éclipsant totalement la manifestation pacifique vécue par environ 5.000 personnes. De l’intérieur, nous avons vu les Gilets jaunes empêcher des gens de renverser des poubelles. La volonté de s’attaquer à des vitrines ou d’arracher des pavés était tellement minoritaire qu’elle n’aurait sans doute trouvé aucun moyen de s’exprimer sans être immédiatement bloquée par les Gilets jaunes, si ceux-ci n’avaient pas été noyés dans les gaz lacrymogènes. Enfin, on remarque que l’indignation face à la violence est tout à fait sélective : l’emploi massif d’armes contre des manifestants pacifistes ne mérite apparemment pas la Une. Dormez tranquilles, clermontois ! Demain on ne vous laissera peut-être plus manifester, mais la devanture de votre banque sera sauve.